Co-construction des politiques publiques ! Un enjeu de démocratie ! un défi pour les associations !

Si ce terme est de plus en plus utilisé dans l’arsenal législatif , il reste mal défini dans ses contours, ses conditions, ses domaines de réalisation. Sa précision et ses modalités de mise en œuvre sont laissés à l’appréciation des acteurs locaux. Dès lors, chacun, collectivités territoriales, services de l’État en Région, associations, habitants et autres membres de la société civile tentent de manière empirique de s’entendre sur une définition commune préalable.

la co-construction désigne « un processus institué de participation ouverte et organisée d’une pluralité d’acteurs à l’élaboration, à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation de l’action publique ».*(1)

En ce sens, « ...elle tente d’apporter des réponses aux limites de la démocratie représentative et au monopole des pouvoirs publics sur la définition de l’intérêt général.

Elle vise à construire l’action publique au sens où celle-ci ne se réduit pas à la production des politiques publiques par le seul système politico-administratif mais tient compte des problèmes soulevés comme des solutions proposées par les acteurs non institutionnels...» *(1)

 

SI ce terme est de plus en plus utilisé dans l’arsenal législatif, il reste mal défini dans ses contours, ses conditions, ses domaines de réalisation. Sa précision et ses modalités de mise en œuvre sont laissés à l’appréciation des acteurs locaux. Dès lors, chacun, collectivités territoriales, services de l’État en Région, associations, habitants et autres membres de la société civile tentent de manière empirique de s’entendre sur une définition commune préalable.

 

Pour autant, elle entend répondre à ce que certains considèrent être un déficit démocratique, un essoufflement de la démocratie représentative régulièrement souligné par des records d’abstention aux élections politiques, une montée de l’individualisme faisant dominer l’addition des intérêts personnels au détriment de l’intérêt général, la montée des idées d’extrême droite avec son cortège de haines, d’exclusions, de stigmatisation, de peurs, d’inégalités, d’autoritarisme et de mise sous contrôle permanent de la sociétés y compris dans les sphères les plus intimes du citoyen.

 

Les associations, dans leur très grande majorité, ne peuvent que souscrire à ce constat en apportant leur contribution pour relever ce défi majeur.

 

C’est d’ailleurs ce qu’elles font par leur simple existence.

Il est utile de rappeler ici que la loi du 1er juillet 1901 est d’abord une loi de Liberté individuelle et collective qui inscrit dans le marbre la liberté pour le citoyen de s’associer avec qui bon lui semble pour «...mettre en commun, d'une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices...» «...Les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable...» *(2)

Le législateur a donc consacré le droit inaliénable pour des citoyens de s’associer librement avec qui bon leur semble sans avoir à rendre compte au-delà du cercle de leurs membres de ce qu’ils font, de la manière dont ils font, du pourquoi ils font. Nous parlons bien de citoyens donc du cadre républicain !

 

Cette loi a pour effet de construire de l’intérêt collectif au-delà de l’intérêt personnel ; Elle oblige les membres d’une association à définir eux-mêmes leur objet, leur mode d’organisation et de gestion, la mobilisation des moyens de leur action…. En bref elle inscrit le débat permanent et la souveraineté de l’assemblée générale de tous ses membres. C’est en cela, que l’association est le creuset et une école permanente de la Démocratie.

 

De plus, cette loi a a pour effet la mobilisation collective autour d’un objet social.

Cela lui octroie le droit et la responsabilité d’interpeller, de dénoncer parfois de s’opposer ou d’affronter les décideurs publics et privés sur les insuffisances, les dérives ou les abus. En cela, l’association peut agir en veille, en lanceur d’alerte pouvant aller, pour certaines, jusqu’à la désobéissance civile.

Cette dimension valide la fait que nombre de lois ont été adoptées après et grâce à la mobilisation associatives parce que des citoyens se sont emparées de sujets non ou mal pris en considération par le politique. Ex. contraception IVG, droits des femmes, santé VIH, abolition de la peine de mort, écologie, politiques sociales, santé, médico-social, sport, culture, lutte contre la pauvreté et la précarité….

La quasi-totalité des politiques publiques existent parce que des citoyens se sont mobilisés en association en amont de la décision politique. En cela la loi vient consacrer l’engagement associatif.

 

Enfin, et sous réserve du respect et de la reconnaissance des deux dimensions exposées ci-dessus, les associations par leur expérience autour de leur objet sociale et la mobilisation collective de personnes autour d’un but commun ont développé une expertise singulière qui les place en situation de «vigie» d’observateur des besoins sociaux. Cette expertise peut venir enrichir les politiques publiques.

Et si comme le souligne Roger SUE, dans ce pays aucune politique publique, dans aucun domaine, ne peut être mis en œuvre sans la contribution des associations et leur consentement.

Il est donc logique que ces associations soient mise à contribution dès l’élaboration et pas seulement dans la phase de mise en œuvre puis dans l’évaluation des politiques publiques.

 

Ce cadre général étant posé, nous pouvons identifier quelques conditions de réussite du dialogue souhaitable entre les associations et la puissance publique.

 

Rappelons que cette notion aujourd’hui mal définie est relativement récente dans notre pays. Celui-ci s’est longtemps construit sur une vision très centralisatrice considérant que le bien commun était du seul ressort de la puissance publique. Celle-là regarde avec méfiance et inquiétude toute revendication de démocratie sociale et territoriale aux côtés d’une démocratie représentative. Au contraire, La co-construction fait le pari que l’une et l’autre se nourrissent mutuellement au lieu de s’anesthésier.

 

Cela nécessite de réunir un certain nombre de conditions préalables :

  • Oser affronter les désaccords autant que les accords et donc, pour les parties prenantes sortir de sa zone de confort pour accéder aux contraintes, aux logiques de l’autre.
  • Des postures qui garantissent l’égalité des partenaires, qui précisent les rôles de contributeurs des parties prenantes et donc de coordinateur de la puissance publique vers une prise de décision
  • Formuler les attentes en direction des parties prenantes. La co-construction doit permettre l’expression d’intérêts ; de besoins qui ne seraient pas exprimés autrement. Avons-nous recueilli des paroles des idées des propositions que nous ne soupçonnions pas ou que nous n’aurions pas recueillis autrement ?
  • Définir le périmètre de la co-construction :  Allons-nous jusqu’à la codécision? La cogestion de l’argent public ?  Interroger le principe «qui paie décide» par d’autres principes: «d’où vient l’argent? » «qu i en est dépositaire, comptable?» « Qui décide de son usage?» « Qui a reçu mandat de gestion? » « Qui et à qui rendre compte de son bon usage?»
  • Procéduraliser la démarche. Julien Talpin du CNRS nous rappelle que la spontanéité reproduit les rapports asymétriques de domination.
  • Préciser le temps et le calendrier. S’inscrire dans du temps long mais pas trop!
  • Nourrir l’intensité et la permanence de l’engagement des parties prenantes dans le processus.
  • Il faut du concret, «donner du grain à moudre». Ponctuer la démarche par des évènements mobilisateurs.
  • Interroger les moyens humains et financiers alloués et le temps à mobiliser en dehors de l’objet premier de l’association. Qui finance la mise à disposition de membres des associations dans les dispositifs de co-construction?

 

Les associations qui s’engagent dans ces dispositifs de co-construction devront pour leur part :

  • Oser franchir le pas de l’intérêt personnel de son association pour considérer l’intérêt collectif et général. En d’autres termes, Politiser son action associative en termes d’utilité sociale.
  • Oser la coopération et l’entraide entre associations, pouvant être perçues comme concurrentes.
  • Créer des communs associatifs. Entrevoir la transversalité au-delà des secteurs d’activités.
  • Assumer une représentativité même aléatoire.
  • Dépasser la méfiance voire la défiance envers le monde politique.
  • Partager les réalités de chacun y compris et surtout ses vulnérabilités. Un climat de confiance à cultiver.
  • Mobiliser les invisibles, les sans voix, les membres de membres, aux côtés des fédérations et têtes de réseau coutumiers, possédant les codes. Travailler la prise de paroles des plus vulnérables, des moins outillés par des méthodes d’éducation populaire.
  • S’octroyer le droit d’entrer et de sortir des dispositifs en cours.

 

Ces conditions posées et respectées devraient permettre d’éviter :

  • L’institutionnalisation du processus et des acteurs pouvant conduire à l’instrumentalisation des acteurs.
  • le Consensualisme niant la nécessaire considération des aspérités.
  • l’épuisement des parties prenantes.

Le Mouvement Associatif ne peut que se féliciter de voir se concrétiser en Bretagne cette relation constructive avec les pouvoirs publics. Que ce soit avec l’État en région et les départements avec « Guid’Asso », avec Le Conseil Régional et bientôt l’État pour renouveler la charte des engagements réciproques ou encore la ville de Rennes qui vient de faire de même lors des récents états généraux de la vie associative. Tout cela favorise des initiatives que l’on peut voir se prolonger ou se multiplier à Brest, Concarneau, Guingamp, Lamballe et ailleurs.

Ces expériences illustrent la vitalité des relations entretenues par les collectivités et les associations au plus près des intérêts et préoccupations des citoyens.

 

Si, comme le souligne Laurent Fraisse, ces expériences de co-construction restent minoritaires en France, elles ouvrent la voie vers un sursaut démocratique tellement attendu. Malgré les difficultés, voire les incompréhensions à lever, elles laissent entrevoir une piste pour opérer la bifurcation à laquelle nous invite l’urgence écologique, climatique, sociale et démocratique. A chacune des parties prenantes d’agir en responsabilité.

 

En conclusion, la co-construction reste un sujet à travailler par les associations.

Elle permet d’interroger la capacité des associations à nourrir le débat public et à agir sur les politiques publiques.

Elle conforte la place des associations dans leur rôle de défricheur, de pionner et de laboratoire de l’innovation dans un monde de plus en plus anxiogène et incertain.

 

La co-construction conduit la puissance publique à reconnaître l’importance des corps intermédiaires aux côtés des institutions politiques. Elle peut ainsi contribuer à répondre à la demande croissante de participation des citoyens, accroître l’acceptabilité des politiques d’intérêt général, surmonter les résistances aux changements pour répondre aux urgences climatiques, écologiques et démocratiques.

 

 Le 10 décembre 2022

Thierry ABALEA

Président du Mouvement Aassociatif de Bretagne

 

 

 

*(1) Laurent Fraisse, socio-économiste « La coconstruction de l’action publique : Définition, enjeux, discours et pratiques »

*(2) article 1 et 2 de la loi du 1e juillet 1901 relative au contrat d’association